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a•phy•sique [a.fi.zik]

n.f. (du grec ancien φυσική, phusikế (‘science de la nature’ ); le préfixe a vient du grec signifiant ‘pas’ ou ‘sans’ ) 1. Représentation d’un objet dans l’espace au moyen d’une matière à laquelle aucune contrainte, ni physique ni esthétique, n’a été imposée. 2. Ensemble des algorithmes simulant l’espace, le temps et la gravité qui permettent cette représentation. 3. Ensemble des propositions artistiques qui en résultent.

LA MATIÈRE DU TEMPS

Un jour j’ai rencontré Bernar Venet. Après avoir joué les guides à la Fondation Venet au Muy, nous avons partagé une bouteille de San Pellegrino sur une terrasse suspendue en face de l’oeuvre qui m’a fait comprendre la poésie de ses
“Arcs”. Après quelques mondanités, propres à l’homme, l’artiste posa une question : Qu’est-ce que l’art ? A laquelle, il s’empressa de répondre: L’art, c’est repousser les limites de l’art.

C’est ainsi que, sans le savoir, Bernar m’a donné envie de répondre avec des idées à la place des mots. Mon travail débuta dès la fin de sa phrase et la première chose qui m’est apparue essentielle est de franchir les limites.

Notre monde, tel que nous le comprenons via la relativité générale d’Einstein, est un mélange d’espace, de temps et de gravité . Ces trois éléments réunis définissent notre réalité physique et ce qui nous semble réel évolue avec ces trois contraintes. La réalité se définit alors comme étant l’ensemble de l’existant – physique, concret, matériel – accepté par tous et s’oppose donc directement à ce qui ne l’est pas. Le ici et maintenant n’est donc réel qu’un infime instant et est par essence lié à cette notion espace-temps-force.

L’ESPACE

C’est précisément ce ici et maintenant qui nous emmène vers des oeuvres éphémères : les performances. Certains considèrent cette forme d’art comme la continuité des rites de passage observés depuis l’origine de l’Homme. Ce qui est
certain c’est que les performances utilisent le trio espace-temps-force en mélangeant, comme Yves Klein par exemple, des corps comme médium (force) pour les déposer sur une toile (espace) à un moment donné (temps) et ainsi participer à la mémoire collective.

L’espace est alors défini comme le lieu où l’oeuvre est créée dans l’univers physique. Même une oeuvre considérée comme à la limite de l’immatériel – par exemple “Air Column” de Michael Asher – est malgré tout conçue dans un espace physique défini par l’artiste.

LE TEMPS

Des peintures des premiers homo-sapiens, à l’évolution du “Pommier en fleurs”
de Mondrian, à ”La fontaine” de Duchamp, aux sculptures de Sol Lewitt, aux performances de Klein, et même d’autres formes d’art comme Miles Davis et tant d’autres…

Certains auront eu une approche esthétique, d’autres plus intellectuelle, d’autres sonore, mais ce qu’il en ressort c’est que ladite limite est toujours propre à une époque. C’est un subtil mélange entre la vision de l’art, de la société, de la culture
d’un artiste et de ce que le public est prêt à comprendre. Et c’est là tout l’intérêt de la limite en question : elle évolue avec le temps. Parfois même au point où l’artiste ne trouve son public que plusieurs décennies après sa production artistique.

A la manière de Duchamp et de son “Porte-bouteilles”, le genre d’oeuvres où de nos jours le public peut se dire: “ moi aussi je peux le faire.” Certes, aujourd’hui mais en 1914 ? Avec les limites culturelles, sociétales et artistiques de 1914, un seul être humain en a été capable. Mis à part le fait d’être partie intégrante de la création d’une oeuvre, c’est aussi dans la mémoire collective que le temps a toute son importance. Cette mémoire sert de repère pour savoir où nous nous situons dans l’histoire de l’Homme.

Ce rapport au temps apparaît comme nécessaire à l’art. Une oeuvre s’inscrit inexorablement dans un moment d’histoire, et par définition, le temps passe.

LA FORCE

La gravité. Cette force capable de courber l’espace-temps qui se manifeste le plus simplement du monde avec la pomme de Newton et de la manière la plus complexe via les trous noirs.

Par leur condition d’entités appartenant au réel, les artistes ont toujours été contraints de faire face à la gravité. De force, n’importe quelle oeuvre humaine a dû cohabiter avec la gravité. D’une certaine façon Pollock s’en est servi comme médium, Arman l’a défiée en proposant ses poubelles sélectionnées. L’air restant dans la résine et le temps mettront fin à ces oeuvres un jour, ces “poubelles” en deviennent des performances utilisant une autre échelle temporelle.

La gravité est en quelque sorte la colle de notre espace-temps. Avec les connaissances actuelles, aucune entité, si ce n’est la gravité elle-même, ne peut se soustraire à son existence.

L’EXCEPTION CONCEPTUALISTE

Le mouvement conceptualiste a réussi à se passer des règles physiques et d’une partie des codes liés au monde de l’Art en déplaçant la beauté de l’objet à celle de l’idée. L’oeuvre n’est pas toujours matérielle et même quand elle l’est, c’est le
procédé -l’intention- qui compte et non l’objet qui en résulte.

Ceci dit, le temps reste un facteur clé, même dans une oeuvre immatérielle. La beauté de la Galerie fermée de Robert Barry en 1969 continue d’exister à travers la trace qu’elle a laissée dans le temps et donc dans l’Histoire.

L’art étant jusqu’alors matériel, il est devenu cérébral. Je pense notamment à Laurence Weiner et ses modes d’emploi ou Joseph Kosuth qui l’emmena aux limites de la philosophie. Cependant, chaque concept existe par le biais d’une
réalisation inscrite dans l’Histoire et s’enracine ainsi dans l’éternel espace-temps-force.

L’ART APHYSIQUE

Mais qu’en est-il si l’objet résultant est créé dans une réalité qui n’existe pas physiquement ? Qu’en est-il si l’objet répond si bien aux lois physiques qu’un humain serait en mesure de l’assimiler à la réalité alors qu’il n’existe que grâce à
des algorithmes imitant la physique ? Quoi de plus abstrait qu’un instant ?

Le trio espace-temps-force ainsi renié, l’utilisation d’algorithmes intégrant l’aléatoire informatique permet de supprimer toute intention humaine. L’objet qui en résulte est un simple indicateur sans notion esthétique. L’objet en lui-même ne compte pas, il permet simplement au spectateur de regarder le temps. L’espace, le temps et la gravité passent ainsi de l’état de contrainte à celui de matière.

En proposant des explosions de primitives, j’utilise des formes géométriques simples imaginées par l’Homme – connues de la majorité pour explorer une dimension irréelle et la rattacher à notre réalité physique. L’oeuvre est ainsi à cheval entre un processus de création qui n’a jamais existé mais qui laisse une empreinte dans l’histoire grâce aux spectateurs.

Devant l’explosion exposée, notre cerveau est capable de comprendre le mouvement qui a eu lieu, avant et après le moment choisi. Il n’y a ici rien de naturel mais notre cerveau le comprend et peut même y entrevoir une forme de beauté. Le temps arrêté est une chose que nous ne verrons jamais dans notre réalité, pourtant plus que jamais, entremêlé d’algorithmes.

L’oeuvre appartient ainsi à nos deux mémoires collectives: celle du matériel et celle de l’immatériel. Lorsque nous contemplons un instant qui n’a jamais eu lieu, chaque sculpture nous ramène à notre condition d’humain grâce aux facultés d’appréhension du monde qui nous entoure. Cette réalité informatique matérialisée rend le spectateur témoin d’une réalité indéniable.

Il n’est maintenant plus question de savoir si les limites sont franchies ou pas. Il n’est pas non plus question de produire des pixels ou des sculptures “simplement” numérisées. L’enjeu est d’impacter notre réalité avec la matière du temps et d’inviter ainsi les témoins à repenser l’état actuel de leur humanité.

Processus
créatif

  • Choisir un lieu existant pour que la simulation puisse s’inscrire dans le cadre d’une proposition artistique. Chaque sculpture aura pour nom les coordonnées GPS de l’endroit pour laquelle elle a été créé.
  • Une fois l’espace réel reconstruit en 3D, une primitive géométrique interagit avec l’espace grâce à une simulation physiquement juste intégrant un aléatoire informatique.
  • L’instant est sélectionné grâce à un seul critère : la faisabilité. Ce choix n’est qu’une simple appréciation ou ce qui compte le plus est un moment ou les structures nécessaires à la fabrication de l’objet fonctionnent.
  • Les formes issues de la simulation sont alors fabriquées. Le processus technique de fabrication vise à respecter la simulation au maximum, tout en minimisant l’impact visuel de la structure.
  • Sans renier l’impact d’une couleur sur le message d’un objet, ici la lisibilité du temps prime le message véhiculé par la couleur. Le noir ou le blanc s’impose comme étant une représentation radicale de la lumière.